samedi 19 décembre 2009



Il s’agit de mon premier livre avec lequel j’ai attendu plus de 20 ans, avant de commencer à le rédiger, alors que le projet m’a habité depuis les événements auxquels je reviens…

Mon éditeur, à qui va ma gratitude, car il croit en moi… est Codexlibris… et selon toutes vraisemblences il sera “dans les bacs” à partir du 6 novembre…
Ce livre…je ne le fais pas et je ne l’ai écrit pas (nécéssairement) afin qu’il me rapporte… mais parce que j’ai en moi, désormais, une immense envie de dire certaines choses… et je tente de me faire entendre, face aux injustices grandissantes qui touchent les déshérités de cette Terre, envers lesquels je ressens en moi un immense désir de justice, toujours grandissant… et même un devoir de secours… et c’est ça qui me fait agir.



Je vous produirai ici un petit extrait… avec son introduction qui a pour but de situer ma démarche et mes objectifs…



Introduction à l’attention du lecteur
Au fil d’un récit autobiographique, je propose de mener une réflexion originale et sans concession, sur le phénomène de l’immigration, dans sa globalité…


Il fût un temps, où j’ai vu et vécu la condition d’immigré en France sous toutes ses coutures, et au fur et à mesure de ma propre évolution, mon regard sur la France a changé, et je me rappelle chacune de ces étapes ainsi que des expériences qui l’ont façonnées.


Mon histoire est en effet celle d’un immigré absolument seul, sans toit, sans argent et même « sans papier » pour un temps, ne parlant pas le français, mais disposant toutefois d’un bagage culturel et d’un capital sympathie…


Toujours secouru par une foule d’amis et connaissances rencontrés au gré du destin… sans cesse optimiste et bienveillant, déterminé à montrer l’exemple et à lutter soi-même, au quotidien, contre les préjugés qui lui ont certes fait du mal, mais qui, au lieu de le décourager n’ont fait que renforcer sa détermination à les transformer…


Ce récit événementiel n’aurait guère d’intérêt à mes yeux sans qu’il soit accompagné des pensées de « l’immigré » que j’étais alors, avec ses impressions primaires ou premières impressions, avec ses tentatives obsessionnelles à comprendre les liens complexes entre le « monde » et le destin individuel, d’une part, et entre les peuples, leur culture et l’âme humaine, d’autre part.


En même temps, à ces pensées que j’ai puisées de mes souvenirs, épaulés par de nombreux documents miraculeusement conservés, je devais apporter une synthèse aujourd’hui, un peu à la lumière de ce que le monde et moi-même sommes devenus vingt ans après…


En même temps, il fallait aussi absolument éviter le piège de la facilité et de la connivence, qu’aurait représenté la tentation de présenter mon cas comme un modèle général.

Ainsi je pense n’avoir sous-estimé ni les singularités favorables dont j’ai pu bénéficier, fût-ce malgré moi, comme par exemple la couleur de ma peau, ni le supplément de difficultés auquel j’ai échappé et qui ne relève que du destin…


Tout ce qui suit a été réellement vécu tel quel… instantanément enregistré, comme photographié au moment même où il a eu lieu. J’ai en effet vécu cette période, comme avec la caméra sur les épaules, avec l’intention ferme et inconsciente d’en témoigner un jour.


Ce texte n’étant pas une fiction, conformément à l’usage, l’identité des personnes que j’ai réellement rencontrées est préservée, sauf dans des rares cas, où je voulais rendre un hommage explicite à des personnes remarquables. Ceux-là ou leurs proches si elles ne se trouvent plus parmi nous, n’y verront je l’espère pas d’inconvénient.


Cet écrit se veut sans concession, ni parti pris, même pas vis à vis de moi-même.
Il faut aussi assumer ses erreurs. C’est le prix de la vérité…



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Comme on ne vient pas au monde avec les pieds sur terre…
la « jeunesse », n’est peut être autre chose, qu’une tentative désespérée…
pour éviter l’oppression de l’apesanteur…
Dans les nuages…
…L’avion a décollé depuis près d’une heure. On survolait de majestueuses cimes enneigées. Dans une bonne heure on sera à Paris…

Pour tout le monde, je devais y rester quinze jours. Mais je sentais inconsciemment, que l’aventure d’une toute nouvelle vie allait bientôt débuter…

Tout a commencé, semble-t-il, par un rêve, quand j’étais encore à la maison.

Au début, c’était comme un de ces cauchemars de poursuite ou d’évasion. Je fuyais. Je voulais sortir du pays, passer la frontière en cachette…
Et dans mon rêve, finalement j’y suis arrivé… à l’arraché.
Je l’ai compris en voyant autour de moi des gens en uniforme bleu avec des képis cylindriques auxquels on reconnaissait alors du premier coup oeil ces gendarmes typiquement français. J’étais empli d’un agréable sentiment de libération. Je savais que j’avais réussi quelque chose d’incroyable. Je me sentais enfin libre et en sécurité…
Mais je me suis aussi rendu compte qu’il me manquait mon chapeau que je portais sur la tête en partant.C’était un sentiment déchirant, car ce chapeau représentait pour moi quelque chose de très précieux. Il m’appartenait. Sans moi il n’avait pas de raison d’être. Sans lui, je me sentais diminué. J’ai regardé en arrière… Dans mon rêve, une situation irréelle, la frontière était là, juste derrière moi, à quelques mètres à peine. C’était un simple grillage envahi par la brousse et plongé dans un épais brouillard comme si c’était la nuit. Il aurait suffi de vite la retraverser pour récupérer mon chapeau. Mais je savais que je n’aurais eu aucune chance de pouvoir revenir une deuxième fois. Il fallait que je laisse mon chapeau, là bas, quelque part sur le chemin de ma fuite. Il fallait que je m’y fasse. Il était perdu.

Je n’entrevoyais le sens de ce rêve que seulement quelques mois après mon arrivée pour la France…

…Dans l’avion, des habitués de ces voyages, semblaient s’échanger leurs impressions du moment. Ils parlaient avec cette décontraction propre aux Français. Cette langue, qui m’était totalement étrangère, me chantait à l’oreille, et me touchait par une sensualité que je n’ai ressentie dans aucune autre langue.

Malheureusement, cette sonorité unique était la seule sensation intelligible que je pouvais en extraire. Je n’ai jamais appris le français. Je ne comprenais pas le français…

Mais, je trouvais que cette sonorité s’exprimait à merveille à travers ces chansons lyriques, chargées de sentiments et de passions, et d’un sens du style, du genre et de la magie de la scène, qui leur est tout à fait unique.
J’ai appris plus tard, que les Français appellent ça « la chanson française ».

Cet enthousiasme, je l’ai ressenti aussi dans le cinéma ou dans la poésie. Je connaissais bien des œuvres de la « nouvelle vague », qui n’était alors déjà pas si nouvelle, et je suis entré dans l’univers de la poésie par les œuvres de Rimbaud, de Verlaine, d’Apollinaire… Un style, un monde à la fois légers mais rigoureux, joyeux mais profonds.

Dans l’histoire de l’art moderne, qu’on nous a bien fait étudier au lycée, et sans parti pris aucun, la culture française m’apparaissait comme un univers unique, un peu comme un diamant rare.
J’aurais presque pu chanter par cœur des chansons d’Aznavour, d’Yves Montand, de Gilbert Bécaud… et bien d’autres encore, sans même les comprendre aucunement, tellement je les avais écoutées et tellement j’avais aimé les écouter. Elles me transportaient, m’emportaient déjà dans un autre monde, un monde de sensualité, de joie, de liberté, de nostalgie et de bonheur parfois douloureux.

C’est difficile pour un français de se rendre compte tout ce que la culture française peut évoquer pour un étranger. Cela suscite même parfois de sa part l’ironie…

Quoi qu’il en soit, « A Paris… » sonnait pour moi comme une invitation à une balade aux bords de la Seine… « On ira… » me remplissait de sa douce mélancolie amoureuse… « Emmenez-moi… » était comme un appel à la jouissance de l’âme de sa liberté…
Certes, sans toutefois que je comprenne un seul mot de ce qui y était dit.

Sans doute je vivais dans un autre rêve encore, celui de la France vu de l’extérieur, et ce n’est pas un vain mot, j’imaginais vraiment des artistes, des poètes, des peintres, des marchandes de fleur, des mimes, des accordéonistes, dans un merveilleux tourbillon de valse sans fin, ni but précis, spontanément là, dans l’instant, comme dans une éternité, s’entrelacer en dansant sur les rives de la Seine, où devaient tomber, au rythme de cette effervescence sacrée, des feuilles mortes, que chantait Verlaine ou Rimbaud… je ne sais plus…
Et quelle n’était pas ma chance ! je devais arriver là ou tout ça se passe… ou s’est passé : Paris !

Oui, je réalisais tout de même qu’on n’était plus aux « années folles », mais j’espérais bien d’en trouver encore quelque chose.

…Paris, Paris,… c’est trop court à dire, comme souvent des mots français. Il manque toujours quelque chose à la fin. Nous autres, étrangers, nous y ajoutons à chaque fois quelque chose : « Périss » disent les Anglo-Saxons, « Parize » les germanophones, et pour nous autres, Hongrois, c’est « Pàrige ». Nous, on trouve, que ça sonne tellement bien ce « g » à la fin, que c’est vraiment dommage de s’en priver. Mais bon… j’arrive en France, il va falloir en tenir compte, ce sera donc, « Pari », eh voilà !

Bien que portant très haut dans mon estime cette langue qui n’en douter était pleine de promesses pour le jeune poète que j’étais, elle me rendait tout aussi confus à l’idée d’imaginer de devoir l’apprendre moi-même.

J’avais cependant un très gros dictionnaire dans mon sac, dont j’ai renforcé le dos par un morceau de jeans, afin qu’il ne se déchire pas définitivement, et aussi, un vrai manuel de français, pour débutant.

Oui, décidément, je ne venais pas que pour les quinze jours, officiellement prévus. Je voulais rester un peu plus à Paris, pour côtoyer le milieu artistique, auquel je me sentais, par « nature », également, appartenir… et ensuite, qui sait, partir tout de même vers le rêve américain, comme prévu, et comme chaque bon immigré se le doit, pour réussir.
Mais avant cala, je voulais voir Paris, capitale des arts, du style et, incontestablement, du bonheur…

« Dans ma valise, des scénarios, des story-boards… Il ne reste plus que rencontrer des artistes de bonne volonté, leur présenter mes œuvres, mes idées… ils verront tout de suite que j’ai la mise en scène dans la peau… que c’est là ma vocation. Ça va se passer comme ça. Ça ne pourra pas être autrement… »

« Je me voyais déjà… » en train de réaliser mes films… « un doux travelling… là lumière !… entrée en scène… coupé ! ». C’est tout moi. Je le sens. J’ai même commencé un scénario de grand spectacle avec un personnage modelé tout exprès pour Belmondo. Il était alors pour moi un des rares à pouvoir divertir en faisant croire que la vie est facile…
« Oui, la France, Paris, c’est un passage obligé. Après… les USA. On verra. »
Je tissais ainsi mes plans, dans mon siège, et dans l’impatience d’arriver…

Non, je ne comprenais pas ce que les Français se disaient dans l’avion.
Le problème de la langue ? Je pensais que ce n’était qu’un petit problème. N’avais-je pas parlé couramment l’anglais et l’allemand ? Avec tout ça, je devais pouvoir me débrouiller sans problème…

Et puis, « je suis un intellectuel », pensais-je, avoir fait un an et demi de fac en math - philo… « en tout cas quelqu’un de privilégié »… c’est ce qu’on nous a inculqué à notre lycée où on cultivait l’élitisme, et l’idée sous entendue qu’on était destiné de toute façon à un avenir brillant…

« Et puis, en plus, on m’a donné une adresse à Paris. Une dame, médecin, introduite dans les milieux huppés et artistiques parisiens. Une amie de ma prof de littérature… Elle devait certainement pouvoir m’aider… »

« Et puis aussi, les Français le verront par eux-mêmes, que je suis plein d’envie de réussir et de réaliser mon talent. Oui, je vais me débrouiller avec l’anglais et l’allemand et petit à petit j’apprendrai le français. »

Oui, je pensais que tout cela me serait possible, ou du moins à ma portée…

L’équipage de l’avion était français. Souriants, décontractés et prévenants… visiblement épanouis. C’était plutôt rare pour moi de voir de telles personnes, tellement on était habitué alors chez moi à la suffisance hautaine et à l’accueil indifférent de la part des employés d’État…

Décidément, c’était encore comme une promesse…

L’atterrissage
L’avion commence sa descente. Il fait beau… Je scrute les moindres détails du paysage à travers le hublot… dans un état d’excitation d’un émigré aux portes de la terre promise… Mon émotion est comme celui d’un évadé qui au bout de son long périple sur mer voit apparaître devant lui l’horizon.

« Non, on ne peut plus m’attraper… », pensais-je.

Devant moi défilent les portes… va-t-on s’arrêter enfin ? Les habitués préparent tranquillement leurs affaires…

Je marche dans un vaste couloir chrome et velours gris. Il n’en finit pas…

Mes bagages arrivent… Je me dirige vers la sortie…
Ma première pensée : la tour Eiffel. Je ne la vois pas. On ne doit pas être à Paris… J’ai l’impression que tout va très vite et tout est très dense…

La foule se disperse peu à peu. Où je vais maintenant ? J’ai 2500 francs dans la poche… il faut que je fasse attention. Je vais prendre un bus…

Je me renseigne en anglais… et avec un sac bien rempli dans chaque main et un autre sur le dos je me dirige dans la direction qu’on m’a indiquée…

Je sors… je monte et je descends des larges escaliers en béton…
L’air est doux, le soleil moins pesant… Ça doit être à cause de cette influence océanique dont a parlé la prof de géo… la pauvre, on lui a mené la vie dure…

Je descends encore un peu, et je trouve l’arrêt de bus où attend déjà une petite foule.
Je demande encore confirmation… Oui, c’est bien le bus qui va vers Paris.

On n’y est donc pas encore. Pourtant, sur mon billet il est bien écrit « Paris-Orly »… Mais alors, où suis-je en réalité… ?
J’arrive sur une vaste place entourée d’immeubles gris et bleu.

Terminus. Je suis à Paris ! me dit-on.
Je ne vois toujours pas la tour Eiffel. J’ai des doutes…
Enfin, j’aperçois un kiosque avec des présentoirs de cartes postales et des bibelots pour touristes, et parmi ces bibelots… des petites tour Eiffel !
Ça y est ! J’y suis !
J’achète une carte de la ville, il faut que je vois ça de plus près…
Ça s’appelle donc « la place d’Italie ». Je me repère et je continue de marcher le long du boulevard…

C’est un bel après-midi d’été. Les gens défilent par petits groupes, colorés, insouciants, mais comme toujours, pressés.
Cependant… quelque chose m’interpelle : Mais où sont donc les Français ?

Je croise en effet beaucoup de monde, mais ils sont presque tous des noirs ou d’autres gens de couleur, parfois même en habit traditionnels. Quelques blancs comme moi seulement… J’ai des doutes. Et des incertitudes m’envahissent.

Suis-je vraiment à Paris, suis-je vraiment en France ?

Où sont donc les artistes, les peintres, les poètes, les mimes et les chanteurs ? Où sont les accordéons, les boites à musique ? Où les marchandes de fleurs et des filles de joie ? Où est la France que j’ai connue là bas…?

L’enchantement tant attendu devait arriver donc plus tard… j’ai compris que je devais patienter.

Je n’ai pu me m’empêcher de penser à ces mélodies feutrées, uniques, à la française… C’était tellement autre chose que du rock anglais, auquel je me suis voué par rébellion, soif d’émancipation ou de puissance.

« A… la française »… c’est est une expression à part, qui allie d’une manière unique, profondeur et légèreté, une manière de vivre pleinement sa vie, sans la prendre forcément au sérieux.

Et encore, cette décadence romantique, enivrée et tourmentée que j’ai associée aux petits cafés intimes, où se croisent artistes et bohèmes dans une ambiance d’absinthe et d’accordéon…

« Non! Ce n’était pas comme ça… On m’a menti. On m’a trompé !…
Ou alors je ne suis pas arrivé au bon endroit. Où suis-je ? Ce n’est pas Paris, pas la France, c’est impossible ! Je n’y suis pas encore… Ce n’est pas fini… je dois continuer… »

Comme il commençait à faire tard, il fallait que je trouve un endroit où dormir la nuit. J’étais donc, comme prévu, à la recherche d’une auberge de jeunesse, suivant le conseil de ma prof de littérature…
(…)

Sur la route…
Ayant déposé une demande pour obtenir le statut de réfugié politique, je me suis rendu au centre d’hébergement qui se trouvait à Puteaux, à côté du quartier des tours de la Défense. C’était un immeuble de 15 étages, certes, beaucoup moins voyant que ces buildings de bureaux voisins avec leurs enseignes de grande marque.

Il s’agissait en fait, d’un « foyer de jeunes travailleurs » qui accueillait en même temps des nouveaux immigrants en attente de régularisation ou de passage.

Il était toujours agréable de se sentir soutenu. Ce centre m’a accueilli pour deux semaines. Au bout de cette période, de nouvelles décisions devaient déterminer ma prochaine destination.

On nous servait le petit déjeuner dans une cantine au sous-sol et peut être aussi le dîner. On avait droit à 25 francs par jour,… ou par semaine, je ne me rappelle plus.

Je partageais la chambre avec un turc un peu bizarre, qui avait quelque chose d’une vieille femme et d’un albinos, mais qui me surprenait par sa lucidité.

Il y avait aussi un petit yougoslave très vif, d’une trentaine d’années, un peu gitan, en gilet traditionnel et toujours son couteau à la ceinture. Je me rappelle lui avoir prêté 200 francs, juste avant qu’il quitte le centre. Je ne l’ai jamais revu. Pourtant, le turc m’a prévenu. Mais j’étais comme ça…

Mon plaisir était d’écouter ma musique préférée dans mon baladeur en dégustant une baguette encore chaude avec du camembert. Ce « plat » était exactement ce dont j’avais besoin pour mon déjeuner et que je trouvais d’ailleurs tout à fait délicieux et même suffisant. En plus, c’est ce qui m’a permis de faire quelques économies sur mon argent de poche.

Étant donné que mes cheveux ont beaucoup poussé et comme cela a aggravé l’opinion furtive que les gens faisaient de moi avant même que je ne détruise toute illusion en dévoilant mon incapacité de m’exprimer en français, j’ai profité d’une occasion qui s’est présentée.

Sur le même étage, une femme africaine faisait coiffure aux autres africains immigrés comme nous. Très gentiment, elle a accepté de s’occuper de moi.
En fait, elle n’avait jamais eu à faire de coiffure européenne. J’étais cependant très content du résultat, même s’il était un peu original. C’était une coupe ronde, en forme de champignon. Ce n’était pas selon la dernière mode, mais cela me changeait et ça avait l’air soigné malgré tout.

Je ne sais pas comment, malgré cet apparent handicap, je me suis fait la connaissance d’une fille charmante. Elle était française, mais parlait bien l’anglais, et surtout, elle voulait bien me parler…
Je suis même tombé sous le charme. Elle avait des longs cheveux châtains et un visage harmonieux. Je jouais de la galanterie avec elle, payant les additions sur les terrasses des cafés.

A chaque fois, je laissais un pourboire conséquent au serveur, souvent une pièce de 5 francs, et je me rappelle de sa remarque quand un peu énervée elle m’a dit que je ne savais pas ce que l’argent voulait dire.
Ça m’a un peu vexé, mais en même temps, la manière dont elle s’est prise pour s’occuper de moi, m’a flatté. Depuis, j’ai repassé plusieurs fois sa phrase dans ma mémoire, car je sentais que dans ce qu’elle disait il y avait quelque chose de vrai.

Peut être mon éducation y jouait un rôle, où l’argent n’a presque jamais été évoqué, tout comme je n’en avais jamais eu directement besoin… Et surtout, dans notre famille, l’argent n’a jamais été considéré comme but ultime, ni de la vie bien sûr, mais ni même comme objectif de la profession qu’on est amené à choisir au début des études.

Non, la réussite sociale, pour mes parents, passait par le savoir, toutefois inconstitutionnellement reconnu : le diplôme. C’est vrai aussi, que sous le régime communiste (ou plus exactement et abusivement, appelé « socialisme du peuple ») la réussite par l’argent était plutôt difficile à réaliser. Le seul moyen de se distinguer de la « masse » (car il s’agissait de ça, se distinguer…) était les études.

Encore qu’en Hongrie, ce n’était déjà plus tellement vrai à cette époque, car les quelques entrepreneurs indépendants se distinguaient déjà assez bien par leur fortune, même si globalement ils continuaient de vivre de la même manière que des autres « prolétaires » qui devaient constituer la majorité… et pour cause, car ce sont eux qui devaient « détenir » la souveraineté. S’ils le savaient…

Une fois encore, j’étais avec elle, au bar du foyer, au sous-sol. On parlait. Je lui ai raconté mon histoire et mes projets, qui n’étaient pas vraiment modestes. Et elle, elle m’a raconté la France.
Elle disait, « Paris n’est pas la France »… là aussi je n’ai compris la formule que plus tard.

Je sentais que je l’intéressais, mais à mon grand regret, elle ne laissait pas évoluer notre relation qui restait amicale, malgré quelques élans d’intimité…

De l’autre côté du bar, d’un groupe de jeunes attablés, on entendait se lever en notre direction des paroles suffisamment fortes pour rompre la magie de notre conversation bien engagée.
Ça causait français et ça sonnait un peu provoquant, bien que je n’y ai rien compris.

C’est très rare, mais parfois, ne pas comprendre les mots, peut aider. Ça évite les émotions désagréables ou gênantes. Ça permet de rester zen…

Comme je regardais dans leur direction, ils se sont levés et ont commencé de s’approcher de notre table. Je lui demande ce qu’ils disent. Elle m’a répondu, en anglais, que ce ne sont « pas des gens biens ». Puis elle s’est levée et en me prenant par le bras elle m’a dit de partir.
Il y avait aussi mon ami yougoslave, à une autre table, qui est parti avec nous.

On a quitté le bar, et j’avais l’impression bizarre que c’est ma qualité d’étranger qui posait problème.



Quelques jours plus tard, j’avais rendez-vous avec un responsable du bureau s’occupant des immigrés, juste au rez-de-chaussée de l’immeuble. Le grand jour du départ devait se concrétiser.
J’ai eu l’agréable surprise qu’on me demande dans quelle région de France je préférais partir.

C’était un égard tout à fait agréable. Je rêvais depuis longtemps de voir des palmiers, ce que je lui explique naïvement.
Alors avec une certaine indulgence agacée, il pointe son doigt sur la carte de France collée au mur.

Son doigt était posé sur une zone qui n’était pas à côté de la tâche bleue ciel en forme de patate, qui m’indiquait la Méditerranée, alors, pour être bien sûr, je lui ai demandé s’il y a vraiment des palmiers…
Un peu impatient de me voir rassuré, il me l’a promis… et tout content, j’acquiesce de la tête.
En regardant plus près, j’ai découvert que ma prochaine destination était Toulouse.

Le lendemain je reçois donc mon billet de train, un aller simple, et me voilà, parti vers le pays des palmiers, dans le sud de la France, à Toulouse…



Le voyage était long et il faisait très chaud, mais le confort des trains français a compensé la lassitude.
Arrivé à Toulouse, je devais trouver mon nouveau logement, suivant un plan photocopié qu’on m’a laissé.

C’était déjà le soir quand j’ai fini par trouver le foyer qui me semblait assez petit par rapport à celui de Puteaux, et à vrai dire, un peu sale.
Je récupère ma clé à l’accueil, gardé par une personne complètement désintéressée de me voir.

Je trouve ma chambre au premier, une pièce avec un éclairage sombre où je découvre deux lits, dont un chargé des affaires de mon colocataire qui était absent.

Il y avait beaucoup de monde au foyer. En tout cas, les habitants faisaient beaucoup de bruit et vivaient comme une grande famille avec des portes ouvertes sur les paliers. Il y avait aussi une forte odeur de cuisine exotique…

Personne ne semblait réagir à mon arrivée qui tombait dans une indifférence totale.

Les locataires étaient tous des noirs, sûrement africains, et certainement à cause du manque de communication, pour moi alors, ils semblaient appartenir à une autre planète. Qu’ils me pardonnent, j’ai bien changé depuis…



D’ailleurs, j’ai oublié une petite anecdote qui dérange.
Au foyer de Puteaux, il y avait des toilettes, des WC, comme un peu partout, sauf peut être dans l’arrière de quelque brasseries ou cafés parisiens où les toilettes turcs faisaient encore la norme.
Mais la différence avec des toilettes du foyer était dans le détail frappant que leur mode d’emploi en image était affiché de manière ostentatoire sur les murs. On y voyait un dessin avec des flèches montrant le bon emplacement et à côté, une tâche sombre barrée en rouge.

Je trouvais ça très vexant. Toutefois, un autre jour, il m’est arrivé de croiser une situation illustrée par le dessin qui pouvait le justifier…
Le foyer recevait vraiment des immigrés fraîchement arrivés, et quelques uns d’entre eux n’étaient manifestement pas habitués à bien utiliser les lieux.

Ces détails plutôt réalistes, illustrent à leur façon le vrai et seul « choc des civilisations » qui se rapporte aux pratiques, et non celle, bien plus idéologique et sournois, que certains essayent d’imposer dans les esprits actuellement.



A Toulouse, je me suis senti très seul. Mais même seul, je ne pouvais pas méditer sur mon sort comme je l’avais l’habitude de le faire, à cause du bruit permanent que ni les murs ni les portes n’ont pu atténuer. Le sommeil était naturellement impossible, comme tout ce vacarme n’avait pas tendance à diminuer avec l’heure avancée. Il ne me restait plus que d’attendre l’arrivée éventuelle de mon colocataire.

Il s’est pointé la nuit, vers 2-3 heures du matin. Mais lui non plus ne semblait pas vouloir engager la conversation avec moi. C’était un vietnamien, qui ne parlait peut être pas bien ou pas du tout le français et qui d’ailleurs ne montrait aucune intention de vouloir le faire. Impossible de communiquer…

La pression a commencé à monter en moi, nourrie d’un malaise profond, voire de mal être.

Fatigué, le lendemain matin je partais à une promenade d’exploration de la ville.

Quelle déception! je n’ai pas vu un seul palmier, au contraire, que des volets fermés et presque personne dans les rues. Il est vrai, qu’une lourde canicule s’appesantissait alors sur la ville que manifestement les habitants semblaient avoir déserté.

En tout cas, pour moi, la déception a atteint un degré proche du désarroi…

Je suis resté encore deux jours, dont je ne me souviens que des alanguissements solitaires dans ma chambre où ne cessait de grandir mon sentiment de ne pouvoir y trouver aucune perspective d’avenir, et surtout, grandissait une envie irrésistible de retrouver la fille que j’ai connue au foyer proche de la Défense, envers qui je commençais à ressentir un désir de plus en plus fort.

J’ai pris donc la décision de retourner sur Paris et la revoir, coûte que coûte.

Mais je savais, qu’en même temps que je partais pour Toulouse, elle devait retourner chez elle en Bretagne, à Saint-Nazaire. Donc, c’est finalement là que je devais arriver pour la revoir.

(…)

Peu de temps après, j’ai été embauché à l’usine de mon patron et bienfaiteur « self-made-man » comme « OS », c’est à dire, « ouvrier spécialisé ». C’était l’expression trompeuse consacrée pour désigner l’ouvrier à tout faire, en opposition à « l’ouvrier qualifié » qui seul correspond réellement à une profession. J’ai appris cette distinction, à mes dépens, un peu plus tard.

C’était pour moi une grande première : mon premier vrai travail, mes premières fiches de paye, mon numéro de sécurité sociale, les débuts de mon existence légale dans la « vie active » et les débuts de ce qui aurait bien pu être une « intégration sociale par le travail », comme on dit, peut être, aujourd’hui…

Au début, j’habitais encore dans ma première chambre de bonne au dixième arrondissement, 10, boulevard de Strasbourg, et je prenais le métro tous les matins vers 6 heures pour me rendre à mon travail dans la proche banlieue sud.

Les débuts étaient difficiles. Les premiers jours, arrivant quelques minutes en retard, je me suis fait copieusement sermonné par mon patron. Il m’a parlé avec une certaine tristesse et avec une expression de déception définitive : « Si tu es arrivé en retard, c’est que tu arriveras toujours en retard. Il n’y a que deux sortes d’hommes ».
En disant cela, avec cette certitude infaillible inscrite sur le visage, malgré mon refus inconscient de ce jugement catégorique, j’ai eu un doute. Et après tout, jusqu’à aujourd’hui, je n’ai rien pour le démentir…

En Hongrie, en dehors de ma vie étudiante un peu stérile, j’ai eu quelques occasions de travailler de mes mains, principalement comme corollaire à ma rébellion face au carcan familial.

Mais là c’était complètement différent. J’ai choisi la grande aventure de l’émigration et je voulais un changement total de ma vie. Je voulais devenir quelqu’un d’autre. Je voulais une vie héroïque, pleine de découverte d’expérience et de lutte, pour couronner tout ça, à la fin, par la gloire de la réussite…

Il était clair dans mon esprit, que toutes les vicissitudes que je traverserai, ne seront que des nécessités du moment, que des épreuves provisoires. Et le livre de Jack London, Martin Eden, était là pour m’encourager. Je l’ai lu plusieurs fois… je voulu m’en inspirer dans mon quotidien.

A l’usine, on m’a d’abord confié des travaux qui avaient plus l’air d’un bizutage que d’une réelle nécessité.
Je devais nettoyer des fonds de cuves assez immondes où était déposé une épaisse couche de liquide blanc, que certainement, jamais un humain n’a encore touché. Mais cela n’a pas duré trop longtemps et je me suis rapidement retrouvé à travailler sur des machines outils : des perceuses, des fraiseuses…

Ce travail m’a bien plu, car j’avais vraiment l’impression d’apprendre un métier, un vrai métier de travail manuel, que j’avais envie de posséder, comme pour contrebalancer une culture par trop livresque.
D’ailleurs, sur mes mains on pouvait rapidement voir que c’étaient elles qui me servaient pour travailler.

Les grosses mèches des perceuses produisaient constamment des fines chutes métalliques en spiral courbé, extrêmement coupantes. Mon travail consistait alors de les dégager. Bientôt, je n’avais plus aucun un doigt sans pansement. C’est seulement au bout de quelques semaines que j’ai appris comment éviter ces coupures.
Comme je commençais à être à l’aise dans mon travail, j’ai demandé à faire des heures supplémentaires, ce que mon patron a accepté avec satisfaction, je pense, tout aussi bien pour le plus value que je pouvais ainsi lui apporter que pour le témoignage de courage dont je faisais ainsi preuve.

Notre relation était tout de même un peu spéciale, et je sentais que je remontais dans son estime.

Alors, je restais souvent seul dans l’usine avec mes deux machines à surveiller. Les pièces métalliques à travailler m’étaient préparées et les machines réglées à l’avance. Je n’avais qu’à changer les pièces et à surveiller l’arrivée du liquide de refroidissement pour éviter la surchauffe et à dégager les chutes.

En me retrouvant seul dans l’usine, je me suis senti comme dopé. J’avais une envie terrible d’en faire le plus possible.
C’est le patron qui devait venir m’arrêter vers 20 heures. Quant à moi, je l’aurais bien continué encore, malgré la fatigue que je devais gérer et le fait que je ne voyais plus le soleil. En effet, c’était l’hiver, et il faisait encore sombre quand je partais travailler et la nuit était déjà tombée à mon retour.



Il paraît, que c’est à cause des voisins que je devais arrêter les heures supplémentaires. Comme l’atelier était implanté dans une zone pavillonnaire, ils se sont plaints à cause du bruit.

Et puis, c’est vrai, les autres ouvriers aussi, en partant à l’heure, m’avaient regardé un peu bizarrement. Quoi qu’il en soit, c’en était fini de mes projets d’héroïsme au travail.

De plus, il m’est arrivé de faire une vraie gaffe.

Mon patron, qui avait son bureau perché à l’étage, au-dessus de l’entrée de l’atelier et d’où il voyait tout, un peu comme dans les « Temps modernes » de Chaplin, m’a appelé les premiers jours pour me donner les dernières consignes.

Il m’a dit entre autres, de ne jamais dire à quelqu’un combien je gagne, de ne jamais parler de salaire avec mes collègues. Je n’ai pas très bien compris alors la raison de cette précaution et j’acquiesçais machinalement. C’est vrai, que pouvais-je en comprendre, des corporatismes et des syndicats, moi qui venais d’une société parfaite où ils n’avaient pas lieu d’exister.

Et en plus, comme on me l’a déjà fait remarquer auparavant, je n’avais guère le sens de l’argent.

A vrai dire, je ne me suis jamais posé la question si j’étais bien payé ou non. C’était mon premier travail « officiel » et je ne sentais pas opportun de m’arrêter à de tels détails.

Bien sûr, ce n’était pas le cas des autres, pour qui leur travail avait une finalité plus existentielle.

Je ne sais pas si c’est moi qui étais à l’origine des événements ou j’en servais juste comme prétexte supplémentaire, ma compréhension du français était alors trop rudimentaire pour saisir ces subtilités.
Encore est-il, qu’une grogne commençait à monter parmi les ouvriers, surtout les français, car il y avait aussi quelques turcs, portugais et peut être polonais, mais eux, ils sont restés à l’écart du mouvement.
Parmi les français, il y avait un jeune, « ouvrier qualifié » lui, qui voulait voir ma fiche de paye. Après un brin d’hésitation, je la lui montre, oubliant les recommandations de mon patron.

Au début, je ne comprenais pas ce qui se passait, mais quand j’ai vu ce jeune monter au bureau du patron, et manifester bruyamment son mécontentement, il devenait évident qu’il s’était mis dans cet état d’excitation à cause de mon salaire.

A mon grand étonnement, les autres m’ont expliqué tant bien que mal, que ce qui posait problème, c’est le faible écart entre mon salaire à moi, simple « OS » et celui de ce jeune qui venait d’avoir son diplôme de tourneur-fraiseur.

Je me suis senti dans la situation inconfortable de celui qu’on a instrumentalisé. Car en effet, ce jeune réclamait désormais une augmentation.

Je pense que le patron a dû finalement la lui accorder, car à cet instant une partie des ouvriers a arrêté le travail.

En ce moment là, cette attitude me semblait extrêmement mesquine, et de mon point de vue, j’ai assez mal vécu cet épisode que j’ai perçu comme un coup bas, et le jeune… comme un insolent dévergondé. Je ne pouvais pas éviter de ressentir quelque mépris, et de penser, étant donné le peu de sympathie qu’il m’a témoignée, qu’il y avait dans son esprit une incompatibilité entre mon statut d’étranger, ne parlant quasiment même pas le français et mon salaire apparemment au-dessus de la moyenne…

Le patron, était naturellement énervé et m’en voulait à cause de cette affaire que j’ai déclenchée imprudemment, et il me l’a fait comprendre.
Quelque temps plus tard, il m’a mis sur un chantier de construction, celui de son deuxième atelier.

On était trois : un portugais, un turc et moi.
Là, il s’agissait de faire de la maçonnerie. Cette nouvelle activité et ce nouveau lieu de travail étaient pour moi nettement moins intéressants que mon métier précédent et j’ai senti mon élan brisé.
Je me rappelle que pendant une semaine on ne pouvait pas travailler à cause du gel. Il faisait très froid Paris à cet hiver 1984, c’était comme un rude hiver en Hongrie, la température pouvait descendre jusqu’à -20…d’où les stalactites qui pendaient sur ma fenêtre de ma chambre bien que j’ai investi dans un radiateur électrique.
A midi, on mangeait nos casse-croûte et puis on prenait nos « café calva » au bar le plus proche.

Je commençais à m’y sentir de plus en plus en manque de l’essentiel : à défaut d’une perspective pour apprendre un métier, du moins celui de pouvoir évoluer au moins dans l’apprentissage du français. Ce dernier était en effet ma principale préoccupation.

Cependant, mes deux collègues qui n’étaient vraiment pas des bavards, parlaient peut être encore plus mal le français que moi, bien qu’ils fussent déjà depuis plus de dix ans en France.
Cette stagnation dans ce milieu fermé, était pour moi une situation insupportable. Il fallait que je trouve un autre travail, dans un cadre qui m’aurait permis de progresser.

Mais, je ne voyais pas comment faire passer le message auprès de mon patron, sans générer un sentiment d’ingratitude et un jugement que j’aurais perçu comme injuste.

Finalement, un incident malheureux allait précipiter ma décision.

On venait tout juste de monter un mur…
Mon collègue turc, un solide gaillard d’une quarantaine d’années, était à l’extérieur, moi à l’intérieur et je devais lui faire passer un burin à travers une brèche….. Le problème était justement de savoir lequel.
Comme on ne se voyait pas, on essayait de se faire comprendre tant bien que mal dans un français approximatif, sans toutefois à parvenir à lui donner le burin.

La situation, qui tournait au burlesque, commençait à me faire rire. Tandis que de l’autre côté du mur le ton montait et mon collègue commençait à s’énerver sérieusement… alors on s’est crié dessus violemment à travers le mur puis en arrêtant mes vaines tentatives je l’ai inviter à venir chercher lui-même son burin.

C’est ce qu’il semblait vouloir faire à grand pas décidés…
Mais en arrivant, devant les yeux stupéfaits du portugais, il fonçait sur moi avec son marteau à la main prêt à frapper.
A ce moment précis, tout en cherchant un moyen, à vrai dire assez dérisoire, d’éviter qu’il me fende le crâne, j’ai dû garder suffisamment de lucidité pour tenter de le raisonner en lui lançant ces mots en désignant du bout de l’index son marteau qu’il retenait à l’arrière comme pour mieux prendre son élan : « Ça coûte cher! ».

C’était pas d’une grande éloquence, et peut être sans réel effet, encore est-il qu’il s’est arrêté brusquement et en répliquant : « Je n’ai pas peur ! Je ne suis pas comme toi ! », et finalement, il n’a pas frappé, ce qui m’a permis en quelque sorte de vous raconter cette histoire…

A partir de cet instant, il était difficile de travailler ensemble, car la tension était toujours là, et je devenais méfiant vis à vis de lui.
Je me rappelle avoir acheté un couteau de poche, une sorte de Laguiole que j’exhibais désormais au moment du casse-croûte sur le chantier. On s’observait et on ne se parlait plus.

Une semaine plus tard j’ai donné ma démission, en expliquant à mon patron bienfaiteur que mon principal motif était l’apprentissage du français, sans mentionner cet incident.
Je ne suis pas sûr qu’il ait compris mes motivations et il a dit avec une certaine résignation qu’il voyait en effet que ma place était ailleurs…

(…)

Si ma nouvelle vie, un peu plus folle, me plaisait, je n’ai jamais pu me sentir à l’aise à faire de petits écarts de conduite… Car, même s’ils étaient relativement bénins, je sentais que pour moi, l’immigré, les conséquences éventuelles ne seraient pas les mêmes que pour mes amis français. Et puis, cela ne correspondait pas vraiment à cette exemplarité que je me suis fixée.



Non, moi, je n’avais pas le droit de faire des « conneries »… Les assimilations se font tellement facilement. Etre immigré,…des « pays de l’Est »…de Hongrie, et surtout parler un français rudimentaire avec un fort accent et de surcroît plein de fautes, représentait dans l’imaginaire commun, l’étranger qui perturbe, ne faisant pas partie de l’espace-temps local, il y fait intrusion par le sien.

L’immigré, l’étranger des temps modernes, est en fin de compte, comme dans le mot, un phénomène « étrange », une différence incompréhensible de l’espace, comme une anomalie du présent, une erreur fatale dans la « Matrix »…

Non, quelque part, je n’avais rien à faire « là bas », en France, en Normandie… J’aurais dû rester en Hongrie, et plus encore, dans le lieu où je suis né et où j’ai grandi. C’est là que sont mes racines, les mamelles de la terre qui m’ont nourri. C’est là les saveurs et les sensations qui m’ont construit, les sonorités du langage qui ont bâti mon imaginaire d’enfant, c’est là mes parents qui souffrent de mon absence, c’est là, les tombeaux des ancêtres… et celui de mon petit frère, parti à sept ans, dans sa petite tombe… cette petite tombe que j’arrosais, en posant mon vélo à un arbre, au pied duquel les visiteurs vidaient les vases de fleurs fanées… ces fleurs fanées, qui avaient fini par former comme un tas de pot pourris s’élevant au dessus des pierres… ce pot pourris qui m’imprégnait de cette odeur si particulière que je m’en souviens encore… de cette odeur de plantes en décomposition, rappelant la vie qui passe. Oui, selon le bon ordre des choses, je devrai certainement reposer là bas, le jour venu.

C’est ce qui me semble être l’ordre « normal » de la vie… et bien sûr, sans considérer ses aléas, sans tenir compte de l’agitation toujours croissante de ce monde où des appels au départ sont incessants, sinon imposés.

A une autre échelle, la plus commune, on appelle cela « mobilité »…
Mais c’est aussi la curiosité ou plus encore l’envie. Car le monde est devenu virtuellement ou temporellement plus proche et du coup son espace plus petit.

La différence entre le virtuel et le réel semble somme toute assez mince, car les deux sont assimilés dans l’imaginaire et de là, ils influent ensemble et plus ou moins indistinctement sur nos actions. L’imaginaire n’est pas que « l’imagination », il s’agit là aussi d’images, mais acquises par d’autres moyens que les yeux…

Je comprenais donc instinctivement les préjugés irrationnels, vis à vis d’une entité, moi, qui en quelque sorte a quitté sa réalité propre, se trouvant dans un monde qui n’est pas le sien, mais celui des « Autres »… desquels il est sensiblement différent.

De plus, cette entité est potentiellement inquiétante, car elle représente à sa façon ce désordre diffus du monde, se manifestant par cette intrusion dans un milieu, qui ne le perçoit la plupart du temps et en « temps normal » qu’en tant que spectateur consentant à travers les médias. Alors que là, avec la présence bien concrète de cet étranger, le spectateur devient acteur, contraint de participer dans son quotidien dans ce rapprochement des « mondes ».

S’il est vrai qu’on « ne choisit pas sa famille » le problème, c’est qu’on n’a pas le choix non plus du monde ou disons de l’époque dans lequel on doit naître. Il nous reste qu’à l’accepter, de préférence avec intelligence. Le comprendre, si possible, mais c’est le plus difficile. Cependant, le vivre avec intelligence est vraiment une nécessité, car forcer le destin conduit à des catastrophes.

Aujourd’hui, il est aussi insensé de vouloir résister aux grandes migrations que de vouloir empêcher la libre circulation de l’information. Cela signifierait le renoncement à la technologie, la remise en question des concepts fondateurs du monde moderne, comme « le progrès ». Cette notion même, est liée à l’idée d’une expansion, sinon d’une conquête de l’espace et du temps. Ce dont on ne s’est pas privé durant des siècles…

Exportée partout où cela est possible, en quelque sorte, comme modèle, en tout cas comme objet de convoitise, cette notion de « progrès » a pénétré aujourd’hui l’esprit de presque tous les habitants de la planète, sans toutefois qu’elle soit réellement définie.
Les mouvements de population obéissent ainsi, naturellement, à des forces comparables à la loi du marché dans notre système. C’est le déséquilibre qui nourrit les flux.

Dans un monde en parfait équilibre il y aurait certainement moins d’échange.

Beaucoup ressentent instinctivement ce désordre diffus et s’inquiètent, à juste titre, de ses conséquences plus ou moins imprévisibles dans le présent mais surtout dans l’avenir.
Certains deviennent nostalgiques du passé et proposent en quelque sorte de restaurer un état antérieur, sans s’apercevoir que ce passé récent était justement la cause immédiate du présent qu’ils dénoncent. Sans renoncer pour autant à l’idée du « progrès » ils en refusent ce qu’ils perçoivent à plus ou moins juste titre comme les inconvénients.

Cette nostalgie, tout à fait humaine, s’apparente à celle du paradis perdu, qu’ils cherchent désespérément tout autant dans le passé que dans le futur, n’est rien d’autre, finalement qu’un refus du présent.
D’autres encore, croient éperdument, que ce paradis est encore à venir et sont prêts à accepter tous les changements rendus possibles par le « progrès » sensés nous y conduire. Récusant le passé, ils préconisent une sorte de fuite en avant, pour résoudre les problèmes du présent.

Il serait illusoire de croire que tous les phénomènes du temps présent, ainsi dénoncés, ne soient pas directement imputables à notre propre civilisation, tellement écrasante est son influence dans le monde.
Au lieu de tenter de lutter contre certaines conséquences dues au changement accéléré du monde, il serait plus sage d’influer sur les forces convergentes qui en sont les causes directes. Et ce sont nous mêmes qui produisons ces forces.

Mais l’impatience qui caractérise notre civilisation ne semble se préoccuper que du court terme et ne propose que des réactions épidermiques faisant le plus souvent appel qu’aux seules émotions, triées en fonction de leur impact prévisible sur les masses, leur apportant une nourriture anxiogène, en réponse à une réelle et légitime inquiétude, mais qui ne rend finalement qu’encore plus affamé.
Cette attitude, empêchant toute réflexion objective, est en effet très loin, voire à l’opposé de la sagesse.

La pensée unique n’est finalement qu’une prison émotionnelle des esprits, où dans un monde en changement perpétuel et accéléré, on est prié de ne pas s’arrêter pour y réfléchir, sous peine de ne pouvoir s’y adapter. Entre « pouvoir faire » ou « pouvoir réfléchir » on nous suggère fortement le premier.

L’impatience est d’ailleurs dans un autre contexte également synonyme d’intolérance…

Mais ce sujet, par ailleurs passionnant, nous a conduit trop loin du cadre de ce récit. De plus, bien sûr, je ne prétends absolument pas avoir conduit ces réflexions à cette époque de ma vie laquelle j’ai proposée d’exposer ici.

Il s’agissait alors seulement d’un pressentiment. Une empathie envers l’univers que je m’efforçais de perturber le moins possible, voire de l’enrichir par ma présence, jusqu’à me faire adopter par lui.
En quelque sorte, c’était pour moi une communion indispensable à ma nouvelle vie, il s’agissait d’essayer de nouveau jeter de vraies racines, telle que je les ai décrites plus haut.

Afin que tout cela n’apparaisse pas aux yeux de certains comme des beaux paroles, je rajoute, que n’ayant pas, sur mon visage, l’indélébile marque de mes origines, cela m’a été, je l’admet, plus facile.
Car la plus odieuse des injustices est sûrement celle, que même la meilleure volonté, même le plus ardent sacrifice de soi ou même la plus chaleureuse générosité ne peut effacer. Celle qui a pour origine la « peau » ou la physionomie du visage ou du corps…

Et là, je devrais marquer une pause, et laisser parler ceux qui ont dû ou doivent encore subir leurs différences comme des stigmates…



Mais revenons à mon histoire de « bon » immigré, de type européen, et finalement plutôt favorisé, bien qu’il soit quand même des « pays de l’Est »…

(…)

Le verdict
Ça a commencé aussi à l’auto-école, quelque temps plus tard, car ma première voiture, que je n’ai jamais pu conduire a bel et bien fini à la casse…

Quant à la fille berbère avec des longs cheveux rousse, que j’ai d’ailleurs initiée vaguement à notre projet raté, elle est partie pour séjourner dans sa famille en Algérie, pour une période indéterminée.
Pendant ce temps, j’ai passé « le code » et je devais entamer les leçons de conduite…

C’est alors, que le responsable de l’autoécole est venu vers moi, tout désolé, en disant qu’il ne peut pas m’inscrire pour la suite des cours, car la préfecture a signalé que mes papiers n’étaient pas en règle et qu’il fallait donc de toute urgence que j’aille à la préfecture pour faire le nécessaire.

Cela ne semblait donc que retarder mon permis, il suffisait que j’aille à la préfecture pour prolonger mon récépissé qui était apparemment périmé.

En effet, je me suis rendu compte que je faisais une interprétation erronée et d’ailleurs assez naïve d’un tampon supplémentaire qu’on a apposé sur cette feuille rose, la dernière fois que je me suis présenté pour son renouvellement, depuis plus de 6 mois déjà.

C’était pas bien, car je devais normalement le renouveler tous les trois mois, ce que j’ai fait sans faute jusqu’à la dernière fois, où, contrairement à l’habitude, le guichetière n’a pas seulement ajouté la nouvelle date de validité avec le sceau rond de la préfecture, mais a en plus imprimé sur la feuille deux lignes supplémentaires, d’où on pouvait lire que « ce document autorise son détenteur de séjourner et de travailler ». Ces petites lignes supplémentaires et inattendues, combinées à une méconnaissance totale de l’administration et une bonne dose de naïveté, m’ont induis alors en erreur.

Comme ces rendez-vous trimestriels à la préfecture se déroulaient invariablement sans aucune possibilité de communication verbale avec des agents qui nous accueillaient derrière leur guichets, je me suis mis dans la tête, que désormais mon document était valable tel quel et qu’il me devenait donc inutile de le renouveler tous les trois mois, comme avant.

C’était certainement une vision très naïve de la réalité, que je devais alors assumer.

Je me rendais alors à la préfecture de la Cité, en empruntant de nouveau la queue interminable que je connaissais bien.
Quand, au bout de quelques heures, on arrivait à pénétrer enfin dans ce qui devait être à l’origine la salle d’attente, on se trouvait face à une rangée de guichets, derrière des grilles métalliques. C’est à partir de cette barrière qu’on administrait les étrangers.

Dès que je l’ai appris, je n’aimais vraiment pas ce mot, que je voyais me suivre partout et sur tous les documents qui m’étaient adressés. Je voulais vraiment m’en débarrasser. J’aurais été prêt à m’engager dans l’armée à l’autre bout du monde, pourvu qu’en échange on m’appelle plus « étranger ». C’était instinctif, je ne me sentais pas « étrange » je ne voulais pas être celui qu’on peut montrer du doigt, à cause de sa différence.

C’est bien sûr, également, une vision naïve de la réalité, mais les visions naïves comportent également une part de vérité. C’est aussi le regard de l’enfant sur le monde. Il en révèle souvent plus de vérités que bien des manuels. Il va de soit que pour vivre dans cette société, il est nécessaire de garder « pied sur terre »… il me semble être indispensable au bonheur d’avoir un peu « la tête en l’air », ce qui permet d’étendre sa vue vers le ciel ou vers les étoiles. Certes, ce n’est pas cela qui apportera les richesses ou d’autres corollaires réels ou supposés du bonheur, ni même il ne réglera des affaires administratives… Ça, ça se fait plutôt avec les pieds.

Au bout de quelques heures d’attente, c’était mon tour.
Je me présente donc au guichet qui s’est rouvert à ma présence et en présentant mon récépissé rose, j’ai tenté d’expliquer mon cas… et ce que je suis venu demander.

Le clapet du guichet s’est refermé, sans réponse, ni réaction.

Quelques minutes se sont passées ainsi. Sans me regarder, on rangeait des documents… on tapait quelque choses sur le clavier… on regardait dans des dossiers… on sortait une feuille d’un tiroir…
J’attendais plutôt confiant, mais j’avais un mauvais pressentiment, car quand moment est venu de tenter la communication de nouveau, je ne voyais plus la récépissé rose habituel…

Finalement, le clapet se rouvrait, et une feuille dactylographiée était simplement déposée sur la petite tablette devant l’orifice, puis il le clapet se refermait aussitôt.

Surpris par ce nouveau document qui ne ressemblait en rien à mon récépissé et qui ne comportait même pas ma photo, je tentais d’abord de le lire, sans trop m’éloigner du guichet.

On appelait le suivant…

Je ne comprenais pas encore très bien le français, mais j’arrivais quand même à déchiffrer de quoi il s’agit. Je me rappelle encore très clairement d’une phrase avec quelque mots en caractères gras : « …veuillez quitter le territoire français jusqu’au 4 avril… ».

C’était alors comme un coup de tonnerre assourdissant arrivé de nulle part.

Je me retournais vers la personne au guichet en demandant des explications… un peu comme cherche l’air celui qui se noie. Mais la personne derrière le guichet continuait à m’ignorer.

Je suis plutôt de nature calme, mais là je me sentais comme écrasé par l’injustice et le mépris, et je ne savais plus lequel des deux me faisait le plus mal.

En plein milieu de la foule qui attendait, j’ai laissé échapper ma colère. J’ai déchiré la feuille et je suis parti en claquant le grand portail d’entrée en fer, qui a fait trembler le bâtiment. Je suis parti comme un gibier en fuite, ignorant pourquoi les chasseurs le traquent, alors qu’il vivait si harmonieusement avec ses compagnons de la forêt… J’étais épris d’un profond sentiment de révolte et d’indignation.

Je m’apercevais que tout ce que je voulais entreprendre, que toute mon existence même risquait de perdre son sens.

La première personne que j’ai alertée était Éric. Il m’a tout de suite proposé de l’accompagner pour se rendre lui-même à la préfecture afin d’obtenir plus d’explication. Mais ses demandes sont restées sans effet.

Comme j’avais une relation assez proche avec mon patron, je lui en ai également parlé.
Il m’a tout de suite fait comprendre que normalement il n’était plus en mesure de pouvoir continuer à m’employer. Toutefois, il l’a fait quand même. Et il a fait encore bien plus que cela.

Il m’a trouvé un avocat dans le 8e arrondissement de Paris, qu’il a dû payer lui même. Sa femme m’y a conduit avec sa voiture pendant mes heures de travail, pour les entretiens. Faire appel, c’était un moyen provisoire de pouvoir rester.
Une longue et coûteuse procédure allait donc s’engager dont l’issu était incertain.

Tout le monde s’est mobilisé autour de moi pour me sortir de là.
Mon ami Jacques, a cherché parmi ses connaissances des moyens de me faire marier… coûte que coûte. Cela a pris parfois des tournures rocambolesques.

Je me rappelle par exemple qu’on a rendu visite à une dame qui avait une fille autiste. On était dans un petit appartement sombre d’une cité HLM, et on parlait de mariage. Comme je n’étais pas très à l’aise, on a parlé pour moi. Ça devait être un peu un contrat « donnant-donnant » Je devais m’occuper d’elle en échange…

Cela ne s’est pas fait, finalement, je ne sais plus pourquoi. Tant mieux, car mon salut devait venir d’ailleurs…

(…)

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Voici la fin des extraits proposés…
J’espère qu’ils vous ont plu et que cela vous a donné l’envie de le lire en entier…

J’ai quelques exemplaires gratuits pour ceux qui ne pourraient pas l’acheter… et je sais qu’ils sont nombreux… Alors, laissez moi un “post” ou envoyez-moi un mail sur tkovacs (()) wanadoo . fr